Echappée colorée dans la Cordillera de los Frailes
Une belle inconnue loin des sentiers battus
Charmés par l’art lumineux des tisserandes Yamara à l’œuvre sur le marché de Tarabuco, il est aisé pour les voyageurs de découvrir les villages Jalq’a depuis Sucre. Eux aussi cultivent l’art du tissage. Belle idée d’excursion…
En quête de beaux tissus, une randonnée de trois jours dans la Cordillera de los Frailes est riche de bien d’autres surprises. Sac-au-dos par un matin pluvieux, nous cheminons pas à pas sur le camino del Inca entre Chataquilla et Chaunaca. En foulant ce tronçon du grand chemin des peuples andins, le randonneur saisit toute la puissance de l’Empire perdu. Si le Pérou et la Bolivie sont désormais deux pays, le Andes ne sont toujours qu’un seul monde. Les empires passent, les chemins demeurent.
A l'aveuglette sur el camino del Inca entre Chataquilla et Chaunaca
Les nuages habillent de mystère les cimes de la cordillère. La brume décompose nos gestes, étouffent nos pas. Epaisse, elle nous pénètre et c’est tout une atmosphère au ralenti qui nous envahit. Le voile brumeux se dissipe soudain pour laisser apparaitre un nouveau paysage de stries et de plis. La montagne dentelée qui nous entoure a vécu des temps géologiques tourmentés qu’elle n’a pas oubliés.
Après une rude journée de marche, nous posons nos sacs-à-dos dans un village quechua blotti dans le mystérieux « cratère » de Maragua (ou Marawa), étonnante formation naturelle. Du centre, entourés de cette corolle rocheuse aux pétales arrondis, on se croirait dans une fleur de pierre. Quel bonheur ce doit être de survoler ce cratère! Un pinceau semble s’être attardé sur les collines, les touches sont larges, zébrées, tournoyantes. Les couleurs dessinent des formes à l’infini. La Pachamama, la grande géologue joue les Van Gogh.
Fascinant cratère de Marawa/Maragua
Le lendemain, le soleil tape fort sur les crêtes du « cratère » ; au centre de la toile, il irradie le hameau de ses rayons. Ocre, vert, bleu s’enflamment, les couleurs fusionnent avec nos émotions.
Après avoir contemplé quelques instants, un panorama infini, nous plongeons vers une vallée cachée qui n’est pas sans rappeler la Vallée sacrée. Le long du chemin, la nature décline une palette encore plus audacieuse qu’au painting désert, un véritable arc-en-ciel minéral. De nombreuses familles Jalq’a empruntent ce sentier, guidant moutons et ânes. Les enfants viennent à notre rencontre les mains chargées de fossiles.
Arc-en-ciel minéral
Notre petite troupe suit ensuite une piste friable, qui disparaît sous nos pas, pour aller jouer aux apprentis paléontologues. Au milieu de troupeaux de moutons gardés par de jeunes bergères, deux grandes dalles obliques ont figé à jamais de gigantesques empreintes. Traces précipitées de deux immenses dinosaures fuyant l’enfer du magma. Saisissant
« Quarante kilomètres à pied, ça use, ça use, quarante kilomètres à pied, ça use les souliers ». Courbaturés, nous sommes heureux d’atteindre les petites cabanas de Potolo pour une veillée de Noël à la lueur d’une bougie. Enveloppés d’une étrange mélancolie, nous nous endormons dans le tableau Kerze de Richter. Vacillante, la lumière abolit le temps et nous plonge dans un présent éternel. Douce nuit.
Non seulement, la Cordillera de los Frailes, cette belle inconnue, collectionne les étrangetés naturelles mais en plus elle nourrit l’imaginaire des femmes qui y tissent des légendes de fils rouges et noirs, légendes peuplées d’animaux indomptés, « les khurus ». Autant les tissus de Tarabuco sont lumineux et organisés, autant les œuvres d’art brut des femmes Jalq’a sont chaotiques et obscures. Tous sont codés et sont les gardiens de civilisations. Tous ont une âme.
Tissage Jalq'a et de Tarabuco
Comment partir à la recherche des « khurus » et des traces de dinos ?
- Le cratère de Maragua et les villages Jalq’a restent isolés. Même s’il est possible de parcourir ce chemin en solo, Condor Trekkers, une agence à but non lucratif, propose des parcours dans la cordillère dans le respect de la nature et des populations locales. Jhonny, notre guide, et Jack, un volontaire, ont fait de cette randonnée un moment spécial…leurs recettes végétariennes sont à tomber et nous gardons l’idée du pain perdu salé aux petits oignons et aux poivrons. Miam.
- Pour tout comprendre de l'art du tissage bolivien et décrypter la signification des "khurus", le musée des Arts indigènes de Sucre est conseillé.
Pain perdu salé pour un petit déjeuner de Noël exotique