Sacrée vallée
Une cité perdue à découvrir et redécouvrir
Sur une petite place de San Blas, les chauffeurs de combis et de bus crient des destinations à la volée. Nous en attrapons un pour Pisac, déjà plein à craquer de travailleurs. En chemin, la route plonge dans la Vallée Sacrée. Première étape : Pisac pour son marché artisanal. Renommé pour être abominablement touristique en haute saison (juillet – août), à l’aube de ce premier décembre, nous sommes les seuls touristes sur la place. Les locaux dressent leurs étals colorés ; « merveilles sans pareilles pour la joie du passant ». Happés par les tissus, nous oublions de lever les yeux pour contempler El Valle Sagrado qui promet de nous mener à la cité perdue des Incas. Les ondulations des terrasses nichées sur les contreforts andins, les vertes cultures de maïs de cette vallée généreuse nous émerveillent.
Un bus d’écoliers nous mène cahin-caha vers Ollantaytambo. Le long de la route, nous admirons les femmes, tête invariablement couvertes d’un petit couvre-chef différent d’une bourgade à l’autre. Elles trottinent courageusement en transportant sur leur dos enfant ou récolte dans des tissus multicolores. Comme Pisac, le village d’Ollantaytambo est dominé par des ruines Incas mais Ollantaytambo possède un petit quelque chose en plus : son plan Inca a été parfaitement préservé. Ses ruelles seraient adorables si elles n’étaient pas défoncées par des camions de carrière qui foncent sans se soucier du patrimoine. Les bruyants moteurs des impératifs économiques n’entament pas la beauté des lieux ; du haut des ruines, face aux glaciers andins, les camions ne paraissent pas plus gros que des fourmis.
Après une halte rassasiante dans un café au grand cœur, Hearts café, reversant une partie de ses bénéfices pour des projets scolaires : en voiture capitaine. Les luxueux wagons de Peru Rail ou Inca Rail exploitent outrageusement ce trajet menant directement au pied du Machu Picchu : 115 dollars aller-retour par personne. Ce n’est plus la quête de l’or qui motive les « aventuriers » modernes mais la pierre creusée de la vallée sacrée, dressée en montagnes altières, agencées en cités séculaires.
Comme tout pèlerinage, l’ascension du Machu Picchu exige de se lever tôt. Depuis la ville dortoir d’Aguas Calientes nous nous hâtons, sac-au-dos, laissant les gouttes s’écraser sur nos fronts. La météo était annoncée belle mais comme le dit le proverbe Inca « aux larmes des femmes, aux chiens qui boitent, au ciel des Andes nul ne peut croire ». Comme pour l’explorateur Hiram Bingham en 1911, cette marche dans la jungle allait être récompensée par La Fabuleuse découverte de la cité perdue des Incas. « Nous nous frayons un chemin à travers la forêt vierge […]. Quand soudain, je me suis retrouvé face aux murs de maisons en ruines construites grâce à un travail de pierre très minutieux qu’avait fait les Incas. Alors que j’examinais les grands blocs de la ligne inférieure et que je calculais qu’il devait peser entre 10 et 15 tonnes chacun, je ne pouvais en croire mes yeux. Quelqu’un allait-il croire ce que je venais de découvrir ? Heureusement […] j’avais un bon appareil photo et le soleil brillait ». A notre arrivée, les ruines ne sont plus recouvertes par la végétation mais drapées dans une brume épaisse qui dissimule pierres et montagnes. Le mystère opère toujours.
Le sol glissant sous la pluie ne nous permet pas de suivre les pas du jeune Ernesto, futur Che Guevara, en gravissant les hautes marches du Huayna Picchu, mais comme il le décrit dans Voyage à Motocyclette, comment nous expliquer que nous ressentons la nostalgie d’un monde que nous n’avons pas connu. Chanceux nous rencontrons les souriants Américains, Katie et David avec qui nous avons fait flamber les cuisines d’Arequipa, accompagnés de leur guide, nous découvrons les ruines en leur compagnie. Ville, palais, ou lieu de culte, les historiens et les archéologues hésitent encore. Une chose est sure après la visite, les Incas étaient doués d’une créativité formidable. Que de talents architecturaux, astronomiques, agricoles...ignorés des conquistadors.
Soudain, le soleil fait danser les nuages qui jouent à cache-cache dans les ruines. Bientôt, l’astre sacré dévoilera la beauté grandiose de ce nid de condor et nous resterons sans voix. Harmonie subtile entre montagnes luxuriantes et pierres taillées de main d’homme. Poésie des lieux, espérons qu’elle continue à nous inspirer longtemps après ce jour.
Après la « découverte » de la majestueuse citadelle nous ne nous attendions pas au spectacle des Salineras de Maras. Dans un combi sur la route entre Ollantaytambo et Urubamba, deux jeunes femmes de bon conseil nous incitent à descendre à Taramba à la croisée d’un chemin. En suivant ce sentier en pente douce, au détour d’un virage, voilà les salines en pleine Cordillère. Alors que partout ailleurs, le ciel est menaçant, une trouée de ciel bleu transcende ce paysage cristallin. De loin des milliers de pots de peinture, de près des puits salants dans lesquels femmes et hommes s’activent à une récolte exigeante depuis des centaines d’années. Deux paysages si différents séparés par quelques kilomètres, sacrée vallée !
Après ses deux intenses journées la batterie de l’appareil photo faiblit, il est temps d’attraper un « taxi » pour rejoindre les hauts plateaux. Denier arrêt, les fascinantes terrasses de Moray, terrasses concentriques sur différents niveaux taillées dans de vastes cuvettes. Les Incas les auraient utilisées comme laboratoire agricole pour déterminer les micros climats les plus propices aux différentes cultures. Une preuve de plus du caractère ingénieux des Incas.